À l’approche de la Grande Semaine pour les chrétiens, une lecture ou relecture des lignes qui suivent peut devenir une méditation sur la souffrance et la mort … Jésus a sué le sang au Jardin de Gethsémani dans un contexte de haute trahison. À travers la violence qui perpétue l’horreur d’une souffrance abjecte, tel, entre autres, les multiples génocides, la passion de Dieu en ses fils et ses filles ne se poursuit-elle pas ?
Ensemble lisons, réfléchissons et commentons ces lignes qui peuvent nous mettre en communion et provoquer une vague de compassion enveloppant l’humanité et la tirant vers la Lumière de Pâques …
Le concerto d’Auschwitz
Extrait de «Quatre petits bouts de pain» de Magda Hollander-Lafon (pp.47-49)
Vingt-huit années avant de pouvoir réentendre le Concerto pour violon de Brahms. Chaque son me laboure la chair et arrache de moi l’image d’une journée torride sans ombre à Auschwitz.
Vers deux heures, des milliers de déportées entourent une estrade de planches au milieu de l’allée centrale. Les privilégiées se trouvent dans les premiers cercles. Celles qui se trouvent à l’arrière se bousculent, se faufilent vers le premier rang. Le seul coin d’ombre, sous l’estrade, est hermétiquement interdit par les gardes et leurs chiens. Lentement, en procession, avec une démarche un peu tendue, mais dignes, les musiciens, des artistes de premier plan de différents pays, prennent les places qui leur sont assignées. Ils ont le crâne rasé, sont vêtus d’un pantalon rayé bleu et gris et parés d’une jaquette noire sur la veste d’uniforme.
Dans la foule pressée, l’attaque du premier mouvement me transporte de joie. Accroupie, frissonnante d’émotion, je suis entraînée dans un monde féérique où la souffrance s’habille d’une beauté magique. Par petites ondées douces, la musique me pénètre comme un souffle de vie.
Le début du deuxième mouvement est encore pur et dense ; il rit et pleure en nous.
Le temps est immobile mais le soleil est là.
Il nous aspire.

Des fourmillements dans la tête, dans les oreilles me tétanisent. Je garde aujourd’hui encore de ce troisième mouvement une impression paralysante de piqûres venimeuses. La conscience est là, mais en visite seulement. La musique, peu à peu, se disloque et, dans un dernier son dérisoire, un instrument tombe sur l’estrade, puis un autre, et un autre encore. Je ne perçois plus que des gémissements de violon dans une sorte de brume. Le soleil, avec ses flèches, a raison de nous. L’orchestre devient comme une toile qui vieillit. s’use à vue d’œil, se troue et tombe en poussière.
Dans ma conscience engourdie j’ai compris le jeu diabolique des SS. La meute des chiens arrive. En moins d’une heure, la grande cérémonie est terminée. Celles d’entre nous qui le peuvent encore se lèvent et, regagnent les baraquements. Les autres, mortes ou moribondes et flairées par les chiens, sont restées à terre comme des feuilles mortes après la bourrasque.
Le soleil devait frissonner devant ce spectacle. Pour dire aux hommes qui oublient, de rester vigilants.